La sécurité à l’atelier
Bricoler chez soi c’est chouette.
Bricoler chez soi longtemps parce qu’on a su préserver ses doigts, ses mains, ses bras, ses oreilles, ses yeux ou ses narines… C’est encore plus chouette !
Les accidents domestiques tuent 18000 personnes chaque année (source INPES). Soit quatre fois plus que la route…
Les accidents de bricolage font partie des accidents domestiques (même s’ils ne tuent pas autant que… les chutes à la maison, par exemple…oui, on se tue plus à la maison en chutant qu’en bricolant…)
La première chose à laquelle on pense pour éviter les accidents c’est éviter certains gestes, du style ne pas poser sa main ou son poignet sur la lame de scie circulaire….
On devrait aussi penser à : éviter certains états et certaines attitudes. Pourquoi ? Parce que les gestes résultent des états et des attitudes.
Pour illustrer cela, je vais prendre un exemple personnel de presqu’accident qui a failli me coûter un doigt.
Ma formation de menuisier comprenait des stages à effectuer en entreprise. Comparées aux périodes en centre de formation, les périodes en entreprise étaient plutôt courtes (et, diversité des chantiers d’entreprise oblige, on n’y appliquait d’ailleurs pas forcément ce que l’on venait juste d’apprendre en formation).
De retour d’une de ces périodes en entreprise j’ai eu à dégauchir des pièces pour les besoins d’un exercice. Je me mets donc sur la dégau.
Après les vérifications d’usage sur ses réglages, après la mise en place du « pont » de protection, je fais les passes nécessaires pour dégauchir les pièces puis vient le moment de dresser les chants.
Je dispose ma première pièce sur chant contre le guide perpendiculaire, main gauche à l’avant de la pièce, main droite à l’arrière, me concentre sur l’amenage de la pièce vers le fer, passe la pièce sur le fer, j’entends le bruit caractéristique du fer qui dresse le chant, tout va bien, et…
Et je sens un doigt de ma main droite qui touche la protection…
Pendant toute la passe destinée à dresser le chant j’avais un de mes doigts qui traînait sur la table d’entrée de la dégau… au lieu d’être replié.
J’étais tellement concentré sur l’amenage de la pièce que je ne m’en étais même pas rendu compte…
Autant dire que si je n’avais pas correctement placé la protection, ce doigt aussi serait passé sur le fer de dégau… Avec les conséquences que je préfère ne pas imaginer…
La leçon de ce quasi-accident ? Il faut utiliser correctement les protections des machines ? Oui, cela va sans dire.
Mais surtout : c’est moi qui était à l’origine du problème.
Ce n’était pas la machine, elle n’était pas défectueuse ou incomplète, les protections étaient en état.
Ce n’étaient pas mes camarades de formation. Ils n’étaient pas en train de faire les guignols autour pour me distraire.
Ce n’était pas le formateur, il ne m’avait pas « mis la pression » pour que je me dépêche de préparer ces pièces.
L’origine du problème, c’était moi.
Analyser les causes d’un accident
Dans les ateliers on aime parfois se faire peur en racontant des anecdotes (tristes) de gars qui ont un peu trop mis d’eux-mêmes dans ce qu’ils fabriquaient.
Parfois, on conclut en disant « il aurait dû ou pas dû faire ça ».
Lorsqu’un accident survient, une fois les premiers soins effectués et l’émotion retombée, on analyse ce qui s’est passé et les causes de l’accident peuvent être classées en trois catégories :
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celles dues à l’environnement ou aux moyens employés (la pluie, le vent, le brouillard, un sol glissant, une route non balisée, un outil en mauvais état, un outil inadapté à la tâche, un atelier bordélique, etc)
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celles dues à soi-même (on roule trop vite, on croit que ça va passer, on oriente mal le cutter, on ne regarde pas la position de ses mains, etc)
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celles dues aux autres (le chef qui te met la pression, ta femme qui t’appelle pour passer à table alors tu te dépêches, le collègue qui te distrait parce qu’il te fait un coucou en passant – dans notre atelier, on est plus de 100 personnes, on passe une bonne partie de la journée à se croiser et se saluer… C’est le truc chouette des grosses boites, ça peut être convivial – , etc)
Pensez à un accident ou quasi-accident que vous avez vécu, déterminez son contexte en quelques phrases puis rangez les causes dans l’une de ces catégories.
Refaites l’exercice avec des accidents différents, puis rangez les causes dans ces différentes catégories.
Et là, vous vous apercevrez que dans la très grande majorité des cas, les causes sont dues à l’individu lui-même. Moins fréquemment à l’environnement, moins fréquemment aux autres.
90% des causes d’accidents sont dues à un comportement humain, à une erreur humaine.
C’est pas la faute à pas de chance, c’est pas la faute au gouvernement, c’est votre faute à vous.
Je ne dis pas cela pour vous culpabiliser ou pour exonérer la malchance. Je dis ça parce que si vous êtes impliqué à 90% dans les causes d’un accident, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Qu’est-ce que j’ai fait pour en arriver là ?
Quand un accident arrive, c’est qu’il y a eu un dysfonctionnement. Et comme il s’agit à 90% d’un dysfonctionnement humain, qu’est-ce qui a fait que le comportement humain dysfonctionne ?
Des gens qui se sont penchés sur la question ont regroupé les comportements à risque en quatre catégories :
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La déconcentration
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Les distractions visuelles
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Les déplacements à risque
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Les défauts de prise ou de stabilité
La déconcentration
Vous êtes déconcentré lorsque vos yeux sont sur la tâche à accomplir mais que votre esprit est parti ailleurs.
Dans mon cas j’étais très concentré, mais pas partout où j’aurais dû l’être…
En voiture, on est déconcentré parce que, par exemple, on mate la belle nana qui ondule savamment des hanches lors de sa promenade en ville, ou qu’on se penche pour aller chercher sa bouteille d’eau tombée du siège avant de boire un coup en conduisant, ou qu’on répond à un appel sur son portable…
A l’atelier, on est déconcentré parce que, par exemple, on est sur la fin de l’usinage en cours et qu’on pense déjà à l’étape suivante…
Les distractions visuelles
Ici, le mot « distraction » est à prendre au sens large.
Il y a distraction visuelle lorsque le regard n’est pas dirigé sur l’action à mener; lorsqu’on ne regarde pas ce que l’on fait, soit par inattention, soit parce qu’il y a un obstacle visuel.
En voiture, on est distrait parce que, par exemple, on mate la belle nana qui ondule savamment des hanches en ville (oui, je sais, je l’ai déjà dit. La répétition est la base de la pédagogie 🙂 Mais bon, avec les nanas on a à la fois déconcentration et distraction visuelle…).
Ou, beaucoup plus fréquent, surtout en cette saison, parce qu’on n’a pas complètement dégivré son pare-brise et ses vitres latérales… Non, on s’est contenté de dégivrer la taille d’un petit hublot juste au-dessus du volant…
A l’atelier, on est en situation de distraction visuelle parce que, par exemple, on se déplace les bras chargés d’objets qui réduisent notre champ de vision, et qu’on ne voit pas un obstacle sur le trajet… (obstacle qui n’aurait d’ailleurs pas dû se trouver là si l’atelier était soit bien rangé, soit bien organisé. Mais bon).
Les déplacements à risques
C’est une des sources majeures d’accidents.
Chaque fois qu’il y a déplacement, il y a-t-il risque ?
Disons que si tout était immobile de par le monde , il n’y aurait pas de risques de collisions… 🙂
La route, c’est un déplacement à risque (près de 4000 morts par an, c’est pas risqué la route ?)
Ma main qui allait à la rencontre du fer de dégau : c’est un déplacement à risque.
Mon ciseau à bois qui va à la rencontre de mes mains : c’est un déplacement à risque.
Pourquoi mon ciseau à bois irait-il à la rencontre de mes mains ? Parce que, comme un con, je la tiens à la main ma pièce, au lieu de l’avoir fixée à l’établi avec une presse…
(j’ai vu faire, le gars a eu du bol, le ciseau n’est pas profondément entré dans sa main et n’a pas touché les tendons…)
Tiens ! Rappel !
Règle n° 1 pour l’usinage d’une pièce :
Si l’outil est mobile, la pièce doit être fixe.
Si la pièce est mobile, l’outil doit être fixe.
Donc, dès qu’on déplace l’outil, la pièce doit être maintenue (pas avec les mains ! ).
Et, bien évidemment, aucune partie du corps ne doit se trouver sur le trajet de l’outil. Donc, si la pièce est mobile, on utilise un poussoir dès lors que les mains sont susceptibles de passer trop près de l’outil.
En fait, chaque fois qu’il y a déplacement on doit évaluer la trajectoire et les risques :
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de rencontre inopinée (exemple : mon doigt vers le fer de dégau)
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ou de sortie de route (exemple : le ciseau à bois qui vient se ficher dans la main).
Défaut de prise ou de stabilité
Tiens ! Toi qui me lit assis à ton bureau en te balançant sur ta chaise non prévue pour cela, sais-tu que tu risques de tomber en arrière et te faire très mal ?
Toi qui grimpe sur un tabouret de bar, lui-même posé sur une table, afin de changer le tube néon de ta cuisine haute sous plafond, sais-tu que tu risques la chute (50% des causes d’accidents domestiques) ?
Toi qui essaie d’atteindre l’outil rangé hors d’atteinte sur l’étagère du haut, et qui va te le prendre sur la figure (défaut de prise. Avec, en prime, un déplacement à risque) ?
(et si en plus tu as laissé la porte de l’atelier ouverte et que passe la nana de tout à l’heure… Distraction visuelle !)
Toi qui tient à la main la pièce en cours d’usinage qui va t’échapper à cause du rejet par l’outil…
Mais que fait-on pour en arriver à ces comportements à risques ?
À moins d’être totalement maso, suicidaire ou dégénéré, il est évident que l’on ne choisit pas délibérément d’avoir des comportements à risques.
Il y a donc des états qui nous amènent à nous comporter de la sorte, un peu malgré nous. Là aussi, les gens qui se sont penchés sur la question ont trouvé différents états qui peuvent être regroupés en quatre catégories :
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Les états de fatigue
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Les états d’empressement
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Les états émotionnels
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Les excès de confiance
(Hey ! Ils commencent tous par E ! C’est d’un pratique ! )
Les états de fatigue
Voici une bonne définition théorique de l’état de fatigue :
Lorsqu’il n’existe pas les ressources, physiques ou mentales, nécessaires par rapport à un effort requis.
Autant dire, 99 % du temps ! 🙂 (En ce qui me concerne en tout cas. Mais j’ai du mal à faire admettre à mon patron que je dois pratiquer la sieste à l’atelier… Surtout que… La veille au soir… Heu… Vous vous souvenez de la nana qui… ?)
Donc, pour réduire les risques d’accidents à l’atelier : repos, pas d’alcool, pas de tabac, pas de femmes !
J’suis à la bourre !
Eh oui ! On est à la bourre parce que le meuble promis aux copains il y a six mois déjà n’est pas encore tout à fait débité…
Ou parce qu’on vous appelle pour le dîner alors qu’il ne reste que trois pièces à passer à la toupie…
Ou parce que le patron vous dit que ça devait être livré hier…
Bref, on se met la pression, on est moins attentif.
Le truc, c’est que quoi qu’on fasse, on ne rattrape pas le temps… Même la Terre, qui met 24 heures pour tourner sur elle-même et 365 jours pour tourner autour du soleil, ne le fait pas. Vous l’avez déjà vue se dire Vite ! On est début décembre, à la porte de l’hiver, et moi j’en suis toujours à l’été ?
Restez zen !
(Ouais ! Plus facile à dire qu’à faire)
À mon boulot il y a une chef d’équipe qui a un don pour faire suer énerver tout le monde.
Elle se met toujours sous pression, la journée n’a pas encore commencé qu’elle est déjà en train de fulminer à cause du boulot (en retard le boulot. Donc : états d’empressement…), elle met tous ses ouvriers sous pression, elle insupporte tout le monde.
À elle seule elle génère quantité d’états émotionnels pernicieux 🙁
(et non seulement son comportement est contre-productif, mais en plus elle n’a même pas cette fameuse démarche ondulatoire)
La solution serait de l’écarter de toute gestion d’équipe. Mais cela ne semble pas être « la politique de la maison ». Pour ceux qui la subissent, ce n’est pas simple.
La colère, l’énervement, l’agacement, l’impatience, toutes ces émotions « négatives » qui prennent le pas sont susceptibles de déboucher sur des comportements à risques. Même les émotions « positives » (même « cui-cui les petits oiseaux, cui-cui ton déhanchement bien balancé » ). Idéalement, on devrait laisser tout ça à la porte de l’atelier…
T’inquiète ! Ça va passer ! Ça va le faire !
Si les déplacements à risques sont, parmi les comportements, la cause majeure d’accidents, les excès de confiance sont, parmi les états, les causes majeures de comportements à risque.
Dans les faits, chaque fois que vous vous dites une phrase comme T’inquiète ! Ça va passer ! , vous êtes en excès de confiance.
(Vous devriez décompter les fois que vous vous dites une phrase de ce genre, vous seriez étonné du nombre).
Utiliser un outil que l’on ne connaît pas, sur lequel on n’a pas été formé : c’est un excès de confiance.
Prêter un outil à un voisin, le récupérer sans vérification pour l’utiliser quelques semaines après : c’est un excès de confiance.
Dire « j’ai toujours bossé sans cette protection et il n’y a jamais eu de problèmes», c’est un excès de confiance. Ce n’est pas parce que vous n’avez jamais laissé de doigts sur une dégau, que vous n’en laisserez pas un jour.
Dire « je suis cap’ de doubler ces deux poids lourds à la suite », c’est un excès de confiance. Le sentiment de « surpuissance » (comme quand, par exemple, on est jeune, beau, et que rien ne peut nous arriver !) entraîne un excès de confiance.
Grimper sur le tabouret de bar posé sur une table pour changer le néon de la cuisine haute sous plafond : c’est un excès de confiance.
Coucher avec la nana à la démarche chaloupée sans être couvert : excès de confiance…
Il y a aussi l’habitude, les comportements à risque antérieurs non sanctionnés par un accident, qui entraînent des excès de confiance.
Résumé
En analysant un accident, vous en rangerez toujours les causes dans l’une des catégories vues ici et vous vous apercevrez que dans la majorité des cas, les causes extérieures sont peu nombreuses mais que les causes personnelles sont majoritaires.
En analysant l’origine de ces causes, vous tomberez toujours sur un ou plusieurs des comportements à risque exposés ici.
Et en analysant ces comportements, vous vous apercevrez que vous subissiez un ou plusieurs des états exposés ici.
C’est ça la bonne nouvelle annoncée en début de billet : puisque vous êtes à 90% à l’origine d’un accident vous pouvez agir sur les causes (vous) au lieu de vous subir 🙂
Il y a une deuxième bonne nouvelle : réfléchir à ce que vous faites, changer des habitudes, des comportements que vous savez maintenant détecter comme risqués, c’est stimulant et pas très onéreux ! Même pas obligés d’effectuer de grosses modifications dans votre environnement pour diminuer le risque d’accident 🙂
Et vous pouvez adopter cette démarche dans la vie de tous les jours, pas seulement à l’atelier 😉
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Super
Bravo pour tous vos articles biens tournés avec un peu d’humour et sans faute d’orthographe (c’est si rare de nos jours….) celui-ci devrait être affiché dans tous les ateliers.
Au plaisir de vous lire.
Victor
En fait, fautes il y a, mais réduites à la portion congrue, par rapport à la moyenne !
Mon pêché mignon…
Salut,
Trop fort… C’est ça ! exactement ça…
Bravo pour ton article, il m’a bien fait rire… et tellement sérieux en même temps.
Je tombe sur ton blog un peu par hasard, je vois que l’article date un peu mais bon, je pense qu’il y a encore quelqu’un aux commandes…
Je me permets d’en rajouter une petite couche au sujet de la perceuse à colonne, je ne sais pas si cela n’arrive qu’à moi, mais même lorsque je pète la forme, que je ne suis pas pressé et pas sous pression ni même la ch’tite nana aux fameuses hanches (de bois)dans les parages, et bien lorsque je manipule cet outils (sur une bonne série de trous à percer), dès les premiers tours je somnole !!! Incroyable cette machine à un effet soporifique sur moi, c’est affreux ! D’où le titre (ou plutôt, mon pire cauchemar)
Bonne continuation.
BSDB
Muchas gracias…!
Oups… Pardon pour la boulette !
Je viens de voir à l’instant que tu avais mis un lien vers mon BLAUG, super gentil de ta part… Merci.
Very sorry, mais je ne sais pas comment faire de mon côté, (à part écrire ton lien sur un de mes articles) je ne vois pas comment je peux faire une série de liens en dehors des pages ??? Je vais cogiter la chose.
Idem pour le système de CAPTCHA et WORD VERIFICATION, je trouve ça super, mais je crois que ma formule « GRATUIT » ne me le permette pas ?
A bientôt,
BSDB